Paysan du Sundgau projeté dans l’horreur de la Grande Guerre, Dominique Richert (1893-1977) écrira à son retour ses mémoires qui documentent le conflit à hauteur de soldat. Publié en Allemagne, traduit en France, ce récit halluciné prend l’affiche à la Chouc’ et s’incarne dans la voix et le corps de Tobias Kempf.
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«Je fus incorporé à l’âge de 20 ans, le 16 octobre 1913 et affecté à la première compagnie du 112e régiment d’infanterie stationné à Mulhouse en Alsace. En six mois, après le dressage habituel dans l’armée allemande, nous sommes passés de l’état de jeunes recrues à celui de vrais soldats.» Dans les pages d’un cahier, une écriture fine, propre, sinon élégante, tracée à la plume et sans l’ombre d’une rature. À l’ancienne… En revenant à Saint-Ulrich, dans son Sundgau natal, après avoir profité de la grande débâcle qui précède l’armistice du 11 Novembre pour déserter, Dominique Richert, 25 ans, entreprend de consigner ses souvenirs de la guerre. Il note tout, dans la langue apprise à l’école : l’allemand. Défilent ainsi ses premiers combats dans la plaine d’Alsace, du côté de Mulhouse, le carnage de la bataille de Sarrebourg, puis les combats dans les Ardennes, Douai où il est blessé avant de rebondir sur le front russe après quatre mois de convalescence. Une fois la paix de Brest-Litovsk signée avec le gouvernement bolchevik, il retourne sur le front occidental pour participer à la grande contre-offensive allemande du printemps 1918 qui le verra à nouveau stationner à Douai.
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L’horreur à l’état brut« Une sorte de retour à la case départ, après tant et tant de morts, qui a dû lui rendre cette guerre encore plus absurde, si besoin en était », réagit Tobias Kempf. Le comédien strasbourgeois roule de grands yeux en évoquant l’odyssée hallucinée de ce jeune Sundgauvien projeté dans la Grande Guerre. « Il documente de façon assez froide ce que fut cette boucherie. Richert n’a évidemment pas le talent d’un Ernst Jünger et d’ Orages d’acier , fasciné par la guerre, mais il sait écrire. C’est le parfait produit de l’école primaire allemande », poursuit Tobias Kempf. « C’est surtout un excellent conteur, renchérit Roger Siffer. On prétend que lorsqu’il se mettait à raconter ses souvenirs de guerre, au bistrot du coin, tout le monde se taisait et se regroupait autour de lui pour l’écouter dans le plus grand silence. » Le patron de la Chouc’ a lui-même été saisi par ce texte dont la puissance réside dans son extrême simplicité. « Il faut savoir que Richert n’a apparemment pas démarché les éditeurs afin d’être publié. Il a d’abord écrit pour lui. Pour ne pas oublier, peut-être pour sa famille aussi… », poursuit-il. Si finalement, son récit fit l’objet d’une publication post-mortem tout d’abord en Allemagne (en 1989) puis en France, à La Nuée Bleue (en 1994, mais l’édition est aujourd’hui épuisée), c’est grâce à son gendre, Marc Schublin, qui en signera d’ailleurs la traduction française. Découvrant les mémoires de son beau-père, bien après la mort de ce dernier, il a très vite été convaincu qu’un tel témoignage méritait de sortir de l’ombre. « Il y a une telle précision des différentes opérations auxquelles Richert a participé que l’éditeur allemand s’était méfié de l’exactitude de ce qu’il écrivait. Il a fait vérifier les dates, les lieux, les faits, avant de se rendre à l’évidence : tout était parfaitement juste. Richert devait probablement tenir un journal qu’il a réutilisé pour mettre au propre ses mémoires », explique Roger Siffer. L’héroïsme n’existe pasLorsque Tobias Kempf lui a proposé de monter à la Chouc’ un spectacle mêlant lecture et musique (avec Sébastien Troendlé au chant et au piano), il a tout de suite dit oui : « Un tel texte, à l’heure de la commémoration du centenaire de la Grande Guerre, méritait d’être mis en avant. Et puis, il offrait la possibilité d’une présentation bilingue, un soir en français, un autre en allemand, ce qui est assez fort symboliquement. Enfin, argument non négligeable, il s’agit tout de même d’un Alsacien ! » Un Alsacien issu d’une génération appelée à connaître une Seconde Guerre mondiale. « Il avait été tellement traumatisé par la Première qu’il a tout de suite évacué ses fils en Suisse afin qu’ils échappent à une nouvelle boucherie », indique Tobias Kempf. Publié en France sous le titre Cahiers d’un survivant , le titre allemand n’est pas moins évocateur : Beste Gelegenheit zum sterben ( Meilleures occasions de mourir ). « Richert a porté un regard froid, dépouillé sur la guerre. Il voit une main arrachée dans la boue, plus loin une tête, et il l’écrit. Il parle de la faim, de la maladie, des souffrances. Pour lui, l’héroïsme dont parlent les officiers n’existe pas. Il y a juste la mort et le désir de lui échapper », conclut le comédien. À la Choucrouterie, 20 rue de Saint-Louis. Samedi 28 juin, à 20 h 30, en français ; diman-che 29 juin, à 18 h, en allemand. ✆ 03 88 36 07 28.
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